LE MOUVEMENT DU VER
En consultant les différents documents pédagogiques et
didactiques,
comme certains sites internet, DVD, livres et films sur le yi quan, da
cheng quan, il est commun de trouver cette citation que l’on attribue
au rénovateur de ce style :Wang Xiang-Zhai.
Les grands mouvements ne sont pas aussi efficaces que les petits
mouvements.
Les petits mouvements ne sont pas aussi efficaces que
l’immobilité.
L’immobilité, c’est le mouvement éternel.
Beaucoup de pratiquants de yi quan, da cheng quan vont être
très
surpris d’apprendre que cette sentence que l’on retrouve sous
différentes formes et qui de plus, est présentée
comme un théorème de
base et une grande vérité en Asie et dans le reste du
monde, est
fausse.
Wang Xiang-Zhai est originaire de la région de Hebei. Les
habitants de
cette province sont connus pour leur accent particulier, très
difficile
à saisir pour les autres chinois. L’erreur est venue de
l’interprétation de la prononciation de l’idéogramme
«non-mouvement »
(bu dong) qui a pratiquement la même sonorité que le
«mouvement du ver
» (ruchong). De plus, les taoïstes font souvent
référence à la
non-action, préférable à l’action qui butte sur la
résistance de
l’environnement.
Ainsi, il aurait fallu comprendre :
«Le petit mouvement est meilleur que le grand mouvement, le
mouvement du ver vaut plus qu’un petit mouvement »
Cela implique que toutes les parties du corps sont ainsi reliées
entre
elles, et que lorsqu’une partie du corps bouge toutes les autres
bougent en même temps.
Cette phrase n’a donc rien à voir (dans un premier temps) avec
les
postures, mais plutôt avec les mouvements qui sont d’abord grands
et
qui avec la pratique, se réduisent jusqu’à devenir de
plus en plus
petits. Prenons la technique du bois (peng chuan, se prononce pong
chuan), le débutant commence par un grand geste (un grand peng),
au fil
de sa progression il va vers un geste plus petit (un petit peng), et
enfin vers un geste infiniment plus petit (mini peng). Cependant,
certains emploient le terme de micro-mouvement en oubliant le principe
de connexion. En effet, il ne faut pas confondre un micro-mouvement,
comme un clignement d’œil (où tout le corps et les articulations
ne
bougent pas simultanément) avec l’enseignement du Maître
qui utilise
l’image du ver de terre pour nous faire comprendre que quand une seule
articulation bouge, toutes les autres font de même.
Une bonne pratique du yi quan, da cheng quan, s’appuie sur le principe
des six assemblements relié au principe des six forces.
C’est aussi une notion très importante. A l’époque de
l’ancien xing yi
quan, les pratiquants utilisaient surtout deux forces (avant et
arrière
avec l’intention d’écarter), et parfois quatre en rajoutant les
forces
de coté (droite et gauche). Le yi quan, da cheng quan est
différent de
l’ancien xing yi. Il comporte six forces que l’on appelle «la
force
cube ».
Les six assemblages deviennent au fil des années de plus en plus
imperceptibles. A chaque étape, les sensations
s’améliorent et
permettent ainsi de réduire le mouvement afin d’atteindre et de
réaliser le mouvement du ver. Bruce Lee travaillait aussi les
micro-mouvements. Les experts du yi quan, da cheng quan
considèrent que
Bruce Lee employait plutôt des forces partielles.
Le mouvement du ver utilise tout le corps avec l’assemblage des six
forces. Il est constitué des six directions de forces : pousser,
tirer,
appuyer, soulever, écarter, presser ; avant, arrière,
droite, gauche,
haute et basse. Dans la pratique du mouvement lent de tester la force
(shili), il convient d’y associer ces six assemblages, donnant ainsi
plus de force au mouvement du ver. Mais cela n’est pas suffisant, car
il faut pratiquer avec l’esprit de mouvement du ver, c’est à
dire avec
souplesse, stabilité et lenteur. Le débutant aura besoin
de franchir
différentes étapes avant d’atteindre la maîtrise du
mouvement du ver.
De deux, il pourra ensuite sentir quatre, puis six forces. L’enseignant
sera là pour le guider et l’aider à les trouver.
Bien sûr la pratique du zhan zhuang (postures de l’arbre) demeure
la
partie incontournable du yi quan, da cheng quan. Pratiquer le yi quan,
da cheng quan sans s’exercer aux postures n’est pas du yi quan, da
cheng quan. Zhan zhuang est un excellent art martial. Dans tous
mouvements, il est nécessaire de garder pendant toute la
pratique
l’esprit de la posture. Cela constitue le fondement propre au yi quan,
da cheng quan. Le mouvement du ver se trouve aussi dans les shili,
mocabu, danse du yi quan, techniques et application de combat.
Le yi quan, da cheng quan est l’art de prendre appui. Comme sur le plan
physique, il est nécessaire de s’appuyer sur des bases
réelles. Si la
théorie n’est pas correcte, comment la pratique peut-elle
l’être ?
La théorie ou plus précisément la
compréhension de ses principes,
constitue donc un des fondements très important de la discipline.
ESPRIT D’INVESTIGATION
Faire des recherches sérieuses sur le yi quan, da cheng quan,
demande
beaucoup d’énergie, de temps, de moyens et aussi,
nécessite la chance
de rencontrer les maîtres compétents issus de la
tradition, et dont la
filiation ne suppose aucun doute. Cependant, voir les personnes
qualifiées et reconnues n’est pas suffisant. Faut-il encore
avoir du
discernement, faire preuve d’un esprit objectif, et ce, afin de ne pas
partager les opinions partisanes relevant d’intérêt
personnel ou d’un
groupe. Il faut aussi savoir (ce qui n’est pas évident) poser
les
bonnes questions, au bon moment, afin d’éviter un nouveau voyage
ou de
tomber dans l’erreur, voir l’illusion.
De nombreux éléments de ce texte viennent directement de
Maître Wang
Yu-Fang, fille du fondateur Wang Yu-Fang. A la différence des
autres
élèves qui n’avaient pas ce lien familial, donc
privilégié, elle a
appris cet art difficile. Habituée à la prononciation de
son père
depuis sa plus jeune enfance, cela lui a permis d’être moins
sujette
aux erreurs d’interprétations.
A cette époque, il y avait un très grand respect vis
à vis des maîtres.
Jamais un élève n’aurait appelé son professeur ou
son maître par son
nom. Il le nommait shifu. De nos jours cette tradition perdure, bien
que dans certains endroits, elle tende à disparaître. Il
en est de même
au Japon où le respect est aussi important qu’en Chine.
L’élève appelle
son professeur ou son maître sensei.
Maître Wang Yu-Fang précise que le débutant avait
très peu de chance de
pouvoir apprendre avec son père. Peu abordable, il
n’était pas aisé de
gagner sa confiance même avec prudence. Ainsi, l’intention
première du
débutant était d’être admis dans l’école.
Ensuite, il était aiguillé
vers un assistant ou un enseignant. Le débutant n’allait pas
poser de
question sur une citation que tout le monde semblait connaître,
risquant de passer pour un ignorant. Seul l’ancien pouvait avoir
accès
au maître et le respect de la hiérarchie «assistant,
professeur et
maître » évitait ainsi les querelles d’ego.
Dans ce travail de recherche, j’ai été aidé par
mon ami Vuong Tek Meng
qui m’a servi de lien avec la fille du fameux Wang Xiang-Zhai. Il est
disciple de ce maître, mais aussi des maîtres Han Xinqiao
et Li Jianyu.
Moi-même ayant d’abord appris des maîtres Kenichi
Sawaï, Wang Xuan Jie,
Li Jianyu et Wang Yu-Fang, je sens comme mon ami Meng, la
nécessité
d’apprendre et d’essayer de comprendre toujours plus sur la
véritable
signification de cette discipline.
Le yi quan, da cheng quan connaît un développement
important. Les uns
le pratiquent pour le martial, les autres pour la santé et
récemment
certains pour le sport. Qu’importe la motivation du pratiquant ! Il est
nécessaire de posséder une certaine connaissance sur les
origines,
l’histoire, la philosophie, les principes scientifiques et le sens
profond de l’art enseigné.
Bien que les élèves n’aient pas tous le même
objectif et la même
motivation, le rôle de l’enseignant de yi quan, da cheng quan est
d’être relativement polyvalent. Comment le professeur peut-il
faire
progresser les élèves, s’il n’est pas lui-même
exigeant sur son propre
travail et sur celui de ses élèves ? A force de laisser
dériver le
bateau, on ne sait d’où il est parti et où il va.
Personnellement, chercher le sens du yi quan, da cheng quan, comprendre
son principe, me semble plus important que de gagner des
compétitions
et de le développer «à tout va ». A quoi bon
promouvoir un art mal
compris ? A terme, cela risque de créer des déceptions,
des abandons,
des scissions, des incompréhensions et voir pire, le sentiment
d’avoir
été leurré. L’art du yi quan, da cheng quan risque
de ne pas s’en
trouver grandi. Toute sa vie, Wang Xiang-Zhai a fait des recherches sur
son art et par ses réflexions, il lui a apporté des
améliorations
constantes. Une véritable démarche doit s’inscrire dans
ce cadre. Nous
pouvons nous inspirer de son exemple. Il nous a donné un
processus
d’apprentissage qui permet aux plus doués d’atteindre la
virtuosité
soit sur le plan martial ou technique ; aux plus faibles
d’améliorer
leur santé ; aux autres, de rester en bonne condition physique.
Wang
Xiang-Zhai a adapté cette tradition aux gens de notre
époque, restant
fidèle aux fondements de l’enseignement des anciens
maîtres qu’il a
côtoyés. Avant de créer quoi que ce soit,
avons-nous la connaissance
suffisante ? Ce qui sous-entend de comprendre d’abord le sens original
et originel du yi quan, da cheng quan.
Aujourd’hui, il y a de plus en plus d’adeptes qui vont se perfectionner
en Chine et de Maîtres qui vont enseigner dans de nombreux pays
d’Orient et d’Occident. Quel est l’objectif de chacun ?
Comment le yi quan, da cheng quan peut-il rester la boxe de l’intention
et du grand accomplissement sans un développement qualitatif.
Chacun
doit apporter sa contribution à cette intention, et le yi quan,
da
cheng quan connaîtra un développement sans limite. Il en
va de même
pour tous les styles.
La fameuse erreur de Guo Yun Shen
Une erreur, fameuse, concerne la photo de Guo Yun Shen.
Certains occidentaux ne font pas toujours des recherches
sérieuses.
Certains copient sur le voisin. Si le voisin s’est trompé,
l’erreur
devient une vérité historique. C’est ainsi que Guo Yun
Shen s’est
retrouvé avec une nouvelle tête.
En 1990 et 1992, j’étudiais le da cheng quan chez le
Maître Wang Xuan
Jie. Nous discutions du fabuleux peng quan de Guo Yun Shen. J’en vins
à
parler de la photo du Me Guo Yun Shen que l’on trouvait sur les livres
et les magazines. C’est ainsi que je découvris qu’elle
était fausse.
Le maître qui est ainsi représenté s’appelle Kou
Yuan Zhang (écrit de
différentes manières : Ku Yu Cheong, Gu Ruzhang),
surnommé la « paume
en limaille de fer », célèbre pour ses casses
spectaculaires. Il s’agit
en réalité de KOU YUAN ZHANG, maître de la boxe
shaolin (disciple de
Yan Jiyun).
Dans le livre de José Carmona de « Shaolin à Wudang
», il y a des
éléments biographiques sur ce maître.
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